Depuis 2017, Frères des Hommes et CENCA s’unissent pour soutenir le pouvoir d’agir des femmes des quartiers Nord de Lima. Ces zones sont en effet les oubliées des autorités de la ville et font face à de multiples problèmes : surpopulation, aridité, manque d’infrastructures, précarité, faible niveau d’éducation. A cela s’ajoute une violence sociale, économique et physique à l’encontre des habitantes de ces quartiers.
C’est grâce à une voisine que Griselda apprend l’existence de CENCA et qu’elle fait rapidement la connaissance des membres de l’équipe et de ce qu’ils proposent. Pour contrer la crise du Covid-19, elles mettent rapidement en place des « ollas communes » (cantines communautaires). Ce dispositif initialement pensé comme une réponse de secours, perdure encore aujourd’hui car les répercussions sont toujours visibles pour les habitant.e.s des quartiers Nord. « Cette crise a permis de visibiliser l’insécurité alimentaire dans nos quartiers et la nécessité de travailler sur ce point, d’où le fait qu’il existe encore beaucoup d’ollas communes actives aujourd’hui. » nous dit-elle.
Mais elles se sont développées et ont permis aux femmes qui les tiennent de devenir des actrices de développement de leurs quartiers. Aujourd’hui, Griselda est devenue une porte-parole des actions de CENCA et participe à la recherche de fonds pour continuer de faire perdurer ces lieux solidaires multifonctionnels. Mais l’insécurité alimentaire n’est pas la seule difficulté à laquelle les femmes de ces quartiers font face. Et pour cela, tout un panel de formations, de partenariats et d’espaces ont été créés pour y répondre.
Observes-tu des changements de comportements entre les membres du village depuis la naissance des ollas communes ?
« Les habitants participent plus aux activités communautaires, ou quand quelqu’un est malade et / ou a besoin d’argent pour se soigner, ils se réunissent pour cuisiner et récolter des fonds. Il y a plus de solidarité entre les voisins. C’est aussi un espace pour pouvoir partager entre habitants : par exemple si une personne est prête à faire de l’aide aux devoirs pour les enfants, on lui laisse le local pour qu’elle puisse le faire. On y a organisé des ateliers de broderie et de couture. Il y a aussi une petite foire populaire avec une voisine qui apporte des choses neuves et de seconde-main, vendu à des prix très abordables. Souvent les organisations associatives ont besoin d’un local, on leur prête, avec des rafraichissements et de la nourriture. Les mamans qui cuisinent ont aussi un jardin à côté, elles se réunissent de temps en temps pour l’entretenir. Enfin, s’il y a l’anniversaire d’une des femmes, on peut s’y réunir et y faire un gouter. »
Tu as suivi les formations en agroécologie avec le programme « Huertera a Huertera » puis tu as formé d’autres femmes et d’autres ollas communes sur ces questions. Peux-tu nous parler de cette expérience ? Que penses-tu de la place de la femme dans la question de la sécurité alimentaire ?
« Avec mes voisines, on a participé au programme « huertera a huertera » (jardinière à jardinière) qui propose des formations pour savoir comment mettre en place un jardin potager, l’irriguer, l’entretenir et comment faire du compost pour alimenter le sol. Une fois prête, chacune de nous a cherché des « ollas communes » qui souhaitaient se former. Notamment parce qu’on y utilise beaucoup de légumes, et donc qu’on y trouve souvent des déchets alimentaires qui n’étaient pas utiliséser alors que certains pouvaient être utiles pour du compost, ou encore l’eau de rinçage du riz pour alimenter le sol. Certaines ollas ont très peu d’espace pour faire des jardins, on a donc étudié les jardinières hors sol avec les produits que nous avons d’ores et déjà à disposition comme des bouteilles ou des jantes de pneus. Mais cela n’est pas seulement réservé pour les ollas communes, ça peut aussi aider les femmes dans leurs propres maisons. »
Tu as participé aux formations « Habla Mujer », qu’est-ce que ça t’a apporté ? Que penses-tu de l’initiative complémentaire « Habla Causa » ?
« Ça m’a aidé à renforcer mes opinions, à pouvoir donner mon avis, ne pas avoir peur, ne pas être gênée quand j’ai une opinion différente de celle de mes voisins et mes voisines et de voir que les hommes et les femmes peuvent avoir des temps différents pour eux. J’ai pu voir que dans le foyer, les hommes et les femmes peuvent autant cuisiner l’un que l’autre. J’ai transmis ça à mes filles surtout ! On a appris à mieux nous aimer, à mieux nous connaître avec Habla Mujer. Et avec Habla Causa, l’idée est de faire comprendre aux hommes, quel rôle ont les femmes dans le foyer. Parce-que parfois il n’y a pas de formation ou d’atelier pour les hommes pour qu’eux aussi, s’éduquent sur l’égalité. Il n’y a pas forcément d’espaces entre hommes pour parler d’éducation et apprendre à éduquer les filles. Donc ces espaces sont capitaux, car ce sont les seuls espaces qui leur sont dédiés. »
Qu’est-ce que CENCA a changé dans ta vie et celle de ton quartier ?
« J’avais une vie de mère très rythmé par ma famille. Aujourd’hui, j’ai appris à répartir mon temps pour pouvoir assister aux formations. Et dans les formations, il y a aussi du soutien psychologique et j’ai appris comment mieux éduquer mes enfants, à dialoguer de façon plus sereine avec eux et avec mon mari. Au début c’était un peu un choc pour lui car j’étais moins à la maison. Mais maintenant, il respecte le temps que je dédie à CENCA. Je responsabilise mes enfants depuis en leur laissant des instructions lors de mes absences. Et mes filles sont plus autonomes ce qui m’aide beaucoup. »
Merci à toute l’équipe du projet et un grand merci à l’Agence Française de Développement et à la générosité de vos dons qui nous permettent de faire vivre les activités de développement de l’empowerment des femmes péruviennes. Merci à la Métropole de Bordeaux, également partenaire du projet Habla Mujer, grâce à qui nous avons pu nous entretenir avec Griselda lors d’une visite de la métropole au printemps dernier.