Qu’est-ce que la journée internationale des luttes paysannes représente pour le MPP ?
Nous faisons partie de la Via Campesina qui organise cette journée partout dans le monde et de la coordination latino-américaine des organisations paysannes. Pour nous le 17 avril est une journée de mobilisation et de réflexion sur la situation de la paysannerie au niveau mondial, et pas qu’haïtien. Nous défendons l’intérêt collectif des paysans. Nous défendons la question de la terre, qui doit appartenir à celui qui la récolte, ainsi que l’accès des paysans aux ressources naturelles, aux semences, à l’eau. Les semences ne doivent pas être une marchandise, c’est une question cruciale pour les paysans.
Un des gros problèmes auquel sont actuellement confrontés les paysans, notamment ceux du Haut plateau central, est celui de l’accaparement des terres, peux-tu nous en parler ?
C’est une question majeure au niveau national, pas seulement dans la région du Haut plateau central. L’Etat haïtien est en train d’accaparer les terres pour que s’installent des multinationales dans des zones franches, pour la production de textiles. Dans le Nord-Est c’est par exemple le cas, les paysans sont mis dehors pour laisser la place à une zone franche où va être installée une usine qui va produire du textile pour une entreprise asiatique. Dans le Haut Plateau Central, c’est encore pire. Près de 1 300 hectares cultivés par les paysans vont être mis à disposition par décret par le président haïtien au profit d’un industriel du pays. Ces hectares vont devenir des zones franches agricoles et avoir comme conséquence une grande précarité pour les paysans qui vont y travailler. Le MPP lui-même possède une coopérative agricole dans cette zone. On sait que ces zones une production agricole va être installée pour la fabrication de certains éléments du Coca-Cola. Mais en dehors du gouvernement, il y a aussi le problème de gangs armés qui viennent accaparer des terres dans le hait plateau central, surtout à papaye, le siège du MPP. Ils chassent violemment les paysans des terres qu’ils récupèrent ensuite pour que soient construits des lotissements. Ces paysans viennent ensuite voir le MPP pour nous demander de les accompagner. C’est ce que nous faisons en réunissant des organisations paysannes de tout le pays afin d’apporter une réponse collective à la question. Ces gangs agissent souvent avec l’accord de l’Etat et il n’est pas rare que les membres des autorités policières et judiciaires soient récompensés en nature par l’octroi de terres. Donc, nous, nous ne savons pas à qui nous adresser car l’Etat est complice dans la situation. Et c’est de plus en fréquent.
Que signifie être paysan en Haïti en 2021 ?
Le paysan représente la plus grande couche sociale en Haïti, près de 70% des Haïtiens sont paysans. Leur revendication dès l’indépendance est toujours la même, avoir accès à la terre mais c’est difficle car la densité de population dans le pays est forte. Aujourd’hui les paysans peuvent s’exprimer mais ils ne peuvent pas fonctionner de manière isolée pour que les responsables de l’Etat les écoutent. Il faut qu’ils s’organisent.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur eux ?
Sans qu’on puisse l’expliquer, la crise a peu touché le pays, ça n’est plus une préoccupation de la population. Après un arrêt de 4 mois, tout fonctionne de manière normale aujourd’hui. Pareil dans les campagnes. Il y a eu un ralentissement de la production c’est vrai car les gens ne pouvaient plus bouger au début de la crise. Tout est revenu à la normale depuis septembre.
Comment se manifeste le changement climatique dans le centre d’Haïti ?
Par un niveau d’inondations et de sécheresse inédit. Nous n’avons reçu par exemple que 3 mois de pluie, ça a eu un impact sur les rivières, sur les sources. Partout le débit est diminué. Mais quand il pleut, il pleut de façon très très forte, ce qui cause des inondations. Ça représente une diminution des récoltes et un exode rural vers les villes. 4 millions d’Haïtiens sont dans une situation d’insécurité alimentaire aigue. Personne dans le pays n’est épargné.
Comment faites-vous le lien entre justice sociale et protection de l’environnement ?
Il n’y a pas de justice sociale sans protection de l’environnement et aujourd’hui la justice sociale c’est avoir accès à l’éducation, aux infrastructures de base, au logement, à l’énergie. On ne pourra accéder à aucune de ces choses s’il n’y a pas un environnement sain et protégé.
Pourquoi est-ce important que ce soit les paysans eux-mêmes qui se mobilisent pour la justice sociale et la protection de l’environnement ?
C’est la base même du MPP, nous travaillons pour ce que l’on appelle le développement endogène, c’est-à-dire de « bas » en « haut ». Tous les projets que nous menons ne sortent pas de la tête des coordinateurs du MPP pour être mis en place par les paysans. Nous nous basons sur leur savoir-faire, sur leur expérience. Par exemple quand on parle de structures antiérosives, qui participent à la protection de l’environnement, c’est quelque chose que savent déjà faire les paysans. Nous ne faisons que les accompagner sur le plan technique.
La situation politique en Haïti est extrêmement tendue avec un président, Jovenel Moise, qui s’accroche au pouvoir, quelle est la position du MPP sur le sujet ?
Nous considérons Jovenel Moise comme un usurpateur car son mandat est arrivé à échéance depuis le 07 février 2021. La constitution haïtienne le dit. La position du MPP n’est pas différente de celle du reste de la population ou de la société civile. La justice dit que le mandat de Jovenel Moise est arrivé à termes, le barreau national aussi, la plus haute cour de justice aussi. Il doit partir, c’est dans ce sens que nous travaillons avec la société civile. Aujourd’hui, nous n’avons pas de président et s’il reste au pouvoir c’est qu’il bénéficie pour le moment du soutien des Etats-Unis et des pays « amis » d’Haïti, dont la France.
Peux-tu nous parler du projet mené avec Frères des Hommes, où en est-il ?
Les 18 premiers mois sont passés, il y a d’abord eu le temps des diagnostics qui ont mesuré la situation sociale et économique des endroits où nous accompagnons les groupements paysans. 31 d’entre eux ont été accompagnés jusque-là en culture maraichère, vivrière et en élevage. C’était la phase expérimentale, les groupements sont maintenant en train de récolter le maïs, le sorgho. 40 autres groupements vont être suivis, des « mutuelles de solidarité » entre paysans seront créées. On suit aussi les comités citoyens (ils regroupent 10 à 15 acteurs locaux, paysans, responsables communautaires, autorités publiques) qui mettent en place des pépinières, ils sont très concernés par la protection de l’environnement.