Que faisais-tu avant de faire ton volontariat de solidarité internationale avec Frères des Hommes ?
J’étais en stage en tant qu’assistante de projet de terrain au Secours Catholique qui a d’ailleurs des similarités avec Frères des Hommes dans ses partenariats. Ayant vu le côté assistanat, j’avais envie de voir comment les organisations de la société civile menaient un partenariat sur le terrain. Quand tu es jeune et que tu as finis tes études, le volontariat est le dispositif le plus complet qui te permet de partir le plus longtemps. Et je souhaitais m’immerger dans un pays, au moins un an. Et c’est comme ça que je suis tombée sur l’offre de Frères des Hommes. Qui plus est, j’étais déjà allée au Pérou pendant deux mois dans une école pour faire de la sensibilisation dans le cadre de mon parcours universitaire.
Pourquoi avoir choisi le Pérou ?
C’était un pays qui me plaisait beaucoup au niveau de sa culture et de son histoire, que je connaissais donc déjà un peu. L’offre de VSI de Frères des Hommes était pour deux ans, ce qui correspondait aussi à mes envies. Et les notions alliance et de partenariat
Comment as-tu vécu cette expérience ?
Comment résumer deux années aussi riches ? Pour moi, j’ai vraiment grandi personnellement et professionnellement. La première année du projet, en même temps que les femmes prenaient confiance en elles, je prenais moi aussi confiance en moi. Je me suis vraiment intégrée et renforcée personnellement auprès des femmes en étant accompagnée par CENCA. La deuxième année, j’étais plus dans l’animation, la coordination et l’accompagnement. J’ai vécu une réelle montée en compétences grâce à CENCA qui m’ont laissé un champ libre d’actions. Les femmes étaient tellement inspirantes, j’ai vraiment beaucoup appris auprès d’elles. Et puis j’ai pu faire des voyages, découvrir la culture péruvienne etc.
Raconte-nous ton arrivée au Pérou et ton intégration au sein de l’équipe de Cenca ? Quelles étaient tes missions/ton rôle dans le projet ? Comment tu t’es sentie dans ta posture par rapport aux femmes accompagnées par Cenca ? As-tu créé des liens avec elles ?
Malgré les formations et l’envie de faire alliance, j’avais quand même des appréhensions, notamment du fait de ma couleur de peau, qui véhicule malgré moi, un rapport de domination. Mais j’ai été agréablement surprise. CENCA est présent depuis plus de 15 ans sur le terrain, donc les populations sont plutôt habituées à voir des étrangers. Les six premiers mois de la première année étaient vraiment dédiés à de l’observation active et je n’ai jamais senti un sentiment d’exclusion. Au début c’était plutôt le langage qui faisait barrière, mais ça s’est rapidement dissipé. On m’a très vite considérée comme une animatrice de terrain intégrée et identifiée comme membre de CENCA. Puis au fur et à mesure que tu commences à comprendre les situations, que tu écoutes les personnes, que tu comprends le langage, que tu les accompagnes, une relation de confiance s’installe. Certaines des femmes sont presque devenues des amies. J’étais invitée à des temps informels comme des anniversaires ou des baptêmes. C’est une fois que tu as acquis plus d’expérience de terrain, que tu mènes plus de missions en co-responsabilité, voire en responsabilité totale. Je me suis sentie complètement autonome et intégrée au sein de l’équipe. Pour comprendre l’organisation qu’est CENCA, il faut aussi aller au-delà du projet Habla Mujer car l’équipe est comme une grande famille.
Est-ce qu’il y a des choses, personnes, événements qui t’ont particulièrement touché lors ce VSI ?
Beaucoup de choses m’ont touché. Par exemple, les actions réalisées dans le cadre du fonds participation du Collectif Former pour Transformer. La première était plus une expérimentation. On s’est vite rendu compte qu’au sein des quartiers, beaucoup de collectifs d’habitants avaient déjà pleins d’idées, mais il ne leur manquait que des financements. On a donc organisé un concours pour rassembler les idées. Une seule action devait être choisie et ce fut le terrain de foot qui a gagné. J’avais négocié pour qu’on puisse financer la deuxième action finaliste. Car j’ai accompagné les femmes dans la réalisation de cette action (classe de formation pour les enfants en bas âge). C’est un petit pas à l’échelle du quartier, mais c’est une initiative portée par les femmes qui leur donne de la reconnaissance. C’était une action communautaire qui allait profiter à tout le quartier. L’inauguration a eu lieu quelques semaines après mon retour.
Comment s’est déroulée ta relation à distance avec Frères des Hommes ?
J’avais régulièrement des points avec les différents membres de l’association, j’étais vraiment bien suivie et je pouvais leur écrire à n’importe quel moment. Elles étaient présentes, notamment au début pour favoriser mon intégration avec les membres de CENCA, afin de leur réexpliquer mon rôle etc. J’ai vraiment eu un accompagnement en continu et je pense que j’avais de la chance par rapport à d’autres volontaires qui n’avaient pas cet accompagnement là.
En 2022, tu nous expliquais que les ollas communes n’étaient pas destinées à perdurer. Deux ans plus tard, c’est pourtant le cas. Peux-tu nous en dire plus ?
Les « marmites volantes » ou plutôt « ollas communes » comme ils le disent là-bas, ont surgit, ou plutôt ressurgit. Ce sont des organisations spontanées réalisées par les femmes qui cuisinent pour la communauté. Mais il faut savoir que c’est, de base, un héritage culturel et historique andin. Ce sont des choses qui se faisaient déjà par le passé. En effet, il y a eu des vagues de migrations successives avec ces femmes qui sont arrivées avec cet héritage culturel. Et du jour au de lendemain, quand, à cause du covid, il n’y avait plus de revenu, elles ont repris ces formes de solidarité qui existaient déjà avant, en le faisant tous les jours. Cette crise a fait ressurgir le problème d’anémie chez les enfants et l’insécurité alimentaire à Lima. Cenca avait mené une étude sur les « ollas communes » post pandémie. Les constats sont que la grande majorité des quartiers n’ont pas retrouvé leur niveau pré crise, ils ont donc toujours vraiment besoin de cette solidarité alimentaire. Les « ollas communes » sont devenues des espaces publics de socialisation où les personnes se retrouvent. C’est aussi pour ça que ça perdure, parce-que ça crée du lien. C’est aussi un espace intergénérationnel, avec des espaces d’ombres, pour que les personnes âgées, puissent s’y reposer et où les enfants peuvent jouer en sécurité. Le foot y est également très pratiqué et il favorise l’égalité des genres car tout le monde y participe ! Aujourd’hui l’enjeu est : comment on accompagne la transformation de ces espaces ? Car les prix actuels permettent tout juste d’acheter les matières premières pour cuisiner, et encore, d’où le fait qu’elles soient accompagnées financièrement. Il faut voir comment diversifier et faire que ces espaces puissent perdurer.
En quoi dirais-tu que cette expérience de VSI t’a transformée ?
En deux années, il s’est passé tellement de choses. J’ai senti que j’ai beaucoup changé. Notamment la première année, tout était nouveau, il fallait que je m’adapte, que je m’exprime face à des publics vulnérables. J’ai acquis plein de nouvelles compétences et développé d’autres. Par exemple, je me considérais déjà comme étant une personne à l’écoute, mais là-bas, ça s’est vraiment confirmé. Car même si je ne suis pas psychologue, l’écoute et l’échange avec les femmes de Mariategui m’ont énormément touchés. Malgré nos différences, on arrive à se comprendre et à voir comment on peut améliorer les choses. J’ai tellement appris de ces femmes, c’était réellement inspirant. J’ai découvert ou redécouvert des pratiques de solidarité. Ça a donné du sens à mon engagement et je sais pourquoi je veux travailler dans le secteur de la solidarité internationale. Et ça m’a également donné envie de m’engager en dehors du travail par la suite.
Te verrais-tu retourner à Mariátegui ?
Même avant de partir je disais que j’y retournerai et rien que là, j’ai envie d’y retourner. Après deux années de VSI, il est cependant important de faire des coupures et de prendre du recul sur ce que tu as vécu. Si je retourne au à Lima, j’irai les voir comme une famille !
Que dirais-tu à un·e potentiel·le futur·e VSI ?
Je lui dirais que ça va être super, qu’il ou elle va apprendre tellement de choses. En premier lieu sur soi-même, sur les populations, sur les contextes de solidarité et comment les organisations civiles travaillent. Que oui, ça sera challengeant, car il faut savoir s’adapter et être ouvert aux autres. Il faut montrer que tu es là pour apprendre, que tu es intéressé et que tu es dans une posture d’apprentissage. Je dirais aussi qu’il ne faut pas se décourager et qu’il faut faire preuve de résilience. Mais la vision politique de Cenca est tellement intéressante, ça animera la personne !
Quelle suite imagines-tu pour toi après ces deux années au Pérou ?
Cette expérience a consolidé mon engagement : d’un point de vue professionnel je recherche un poste en tant que chargée de projet en partenariat. Car mon stage et ce VSI ont confirmé mon envie de travailler dans ce secteur. J’ai vu le pouvoir qu’à le collectif sur l’amélioration des pratiques d’accompagnement, sur tous les points. Je veux continuer d’accompagner des organisations locales, mais depuis la France cette fois-ci, car je comprends mieux pourquoi aujourd’hui, il y a une réelle utilité à ce que des organisations françaises accompagnent des organisations locales dans d’autres pays. Ce contact humain va me manquer et je pense qu’ici, je vais avoir envie de m’impliquer concrètement pour de la solidarité sur mon temps libre. Je dirais même que ça a renforcé mon engagement dans le sens où avant, c’était plus lié aux études ou au côté professionnel du moins, et maintenant ça s’est ancré dans ma vie personnelle, à ma petite échelle.
Les Volontaires de solidarité internationale (VSI) jouent un rôle capital dans le suivi de la relation partenariale avec nos différents partenaires. Nous remercions chaleureusement Emma pour ces deux années de collaboration et nous espérons la retrouver très prochainement. Y arriba la solidaridad !