Frères des Hommes : Que souhaitais tu en devenant coordinatrice ? Est-ce la même chose qu’être « activiste » ?
C’est la même chose : tu vois, chez Fedina, on ne croit pas en une hiérarchie à suivre, rien de tout ça. Nous travaillons tous au même niveau que les activistes. Nous allons les uns comme les autres aux rendez-vous avec les ministères, aux manifestations, aux réunions avec les populations … Je fais tout ça ! Sur mon intitulé de poste apparaît juste le terme « coordinatrice », mais tout le travail que nous faisons se situe au niveau des populations. Je ne travaille pas seule, mais avec les coordinateurs locaux du projet et toute leur équipe, en réseau : nous avons 5 groupes [inclus dans le projet], je travaille avec tous ceux-là. Quand nous travaillons avec les populations, nous avons une relation de confiance. Il y a des sentiments qui s’expriment, par exemple quand on dit aux travailleurs retraités : « Je suis de ton côté, nous allons t’aider » ! Donc on les accompagne, on les soutient et ils finissent même par nous dire : « Tu n’es pas une étrangère, tu fais partie de notre famille ! »
Quelles sont les plus grosses difficultés que tu rencontres ?
La situation politico-sociale aujourd’hui en Inde est tendue : les lois du travail comme (toutes) les autres sont diluées, nous perdons du terrain … Mais nous sommes la classe des travailleurs et nous devons nous réunir et construire un gros mouvement. Nous devrions défendre nos droits ! C’est notre plus gros challenge, comme celui de nous réunir et d’obtenir une certaine unité. Après, au quotidien, je dois faire face à la mentalité des travailleurs auxquels je parle. Dans leur esprit, ils pensent : « Comment pouvons-nous faire ? Ce n’est pas notre droit, nous ne pouvons pas faire ça.. » Il est difficile pour eux de comprendre leurs difficultés et nous devons leur donner des informations adaptées, nous devons avant tout construire une relation avec eux car seulement ainsi nous pourrons obtenir leur confiance, ils pourront se confier, ils nous croirons ! C’est la plus grosse difficulté !
Quelles sont les conditions de travail et de vie des travailleurs retraités avec qui tu travailles ?
Nous parlons ici de travailleurs retraités du secteur informel : ils sont déjà censés être à la retraite pourtant ils sont encore nombreux à continuer à travailler aujourd’hui. Leurs conditions de logement ne sont pas bonnes, comme ils sont retraités ils doivent s’occuper de toute leur famille. Si le fils est présent, il n’a souvent pas de travail une semaine sur deux, comment faire pour vivre ? Ils ont aussi des petits enfants, comment en prendre soin ? Ils rencontrent beaucoup de difficultés : ces retraités ont des problèmes de pression artérielle, diabète, de cœur, des toux, des rhumes, etc. Ce sont leurs conditions de vie. Ils n’obtiennent que 600 roupies de retraite par mois, et jamais à temps, avec quelquefois 5 à 6 mois de retard de versement ou 2/3 mois ! Ce montant n’est pas suffisant pour qu’ils puissent mener une vie décente, c’est très difficile pour eux. Ce sont de très mauvaises conditions de vie. Ils n’ont pas le temps non plus, ils doivent se lever tôt aller travailler, se dépêcher de rentrer à la maison et cuisiner pour la famille et après seulement ils peuvent manger quelque chose sinon ils repartent au plus vite travailler. C’est la vie qu’ils mènent, remplie de difficultés. La plupart d’entre eux n’ont jamais étudié, ils ne savent ni lire ni écrire et appartiennent aux castes les plus basses.
Pourquoi selon toi est-ce important de travailler avec cette population ?
C’est très important car dans l’état du Karnataka personne ne travaille avec eux, tous travaillent plutôt avec la jeunesse, les enfants, les femmes. C’est une bonne chose que Fedina travaille avec ces travailleurs retraités du secteur informel, c’est important et ils se sentent heureux que quelqu’un soit à leur côté, se batte avec eux, c’est l’esprit.
Qu’est-ce que les actions de Fedina apportent aux personnes âgées ?
Ils obtiennent des informations sur les lois qui les concernent, et sur les droits qu’ils ont. Ils vont discuter avec les « leaders » de nos groupes quand ils rencontrent des problèmes. Maintenant ils osent élever la voix et dire : « Ce sont nos droits et nous vous les réclamons ! » que ce soit à un élu ou autre officiel. Ils disent : « Nous sommes citoyens de l’Inde, nous avons des droits, nous vous les demandons et nous voulons les exercer. »
Quelles ont été les principales activités du projet conduites en 2018 ?
Nous soutenons 5 groupes : Aikyata Bangalore [1], Makaayu Bangalore, DBC Bangalore, Aikyata et Makaayu [2] à pour Bidar et Bijapur. Les principales activités ont été la conduite de formations au droit du travail, à la protection des femmes, au leadership et à l’émancipation des femmes, des visites de foyers, la tenue de réunions régulières, des actions de mobilisation collective, l’organisation de représentations de théâtre de rue et enfin le lancement de la campagne « Droit à la vie ». En parallèle de toutes ces activités, nous avons organisé les réunions des membres du bureau du syndicat Aikyata et du syndicat Makaayu . Le but principal de ces activités est de créer une prise de conscience chez ses personnes, notamment lorsque nous conduisons des réunions dans les quartiers/bidonvilles où ils habitent et en visitant leurs domiciles. Ces 2 activités sont parmi les plus importantes pour nous.