Haïti vit depuis de longues années dans un contexte politique instable, qui s’est empiré à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. À l’insécurité ambiante et la crise économique qui s’en suit, s’ajoutent les catastrophes naturelles qui ne semblent pas laisser de répit aux Haïtiens. En août dernier, un séisme de 7,2 de magnitude s’est abattu sur l’anse Sud de l’île, dévastant sur son passage des villes, villages et bien des terres agricoles. Pour finir, on estime que la crise sanitaire du Covid-19 a renforcé l’insécurité alimentaire en Haïti à hauteur de 42%, concernant désormais 4,1 millions de personnes.
C’est dans ce contexte particulièrement difficile que se terminent trois années d’action avec les collectifs paysans de Hinche et Mirebalais, les deux communes ciblées par notre projet « Renfo Lavi Payizan ». L’objectif était de remobiliser les collectifs paysans et les travailleurs ruraux, pour les renforcer économiquement et socialement, tout en faisant la promotion de pratiques agricoles respectueuse de l’environnement.
Tout passe par le collectif
Cet accompagnement s’est fait par le biais d’acteurs-relais, des agronomes et animateurs locaux formés par le Mouvement Paysan Papaye, présents dans chaque groupement paysan impliqué dans le projet ! Ce sont au total 1310 paysannes et paysans, organisés en collectifs, qui ont été renforcés directement !
Les collectifs paysans ont pris différentes formes en fonction de leurs activités. Les groupements paysans visaient à mettre en place collectivement des activités génératrices de revenus ; les brigades agro-sylvicoles (BAS) étaient davantage axées sur le partage d’expériences et de pratiques agricoles durables ; enfin, les comités citoyens avaient pour but de sensibiliser leurs communautés à la protection de l’environnement. Tout le projet a été pensé dans une démarche collective, et c’est bien cela qui ressort : il était important de faire s’exprimer la force du travail collaboratif, de la concertation et de l’échange !
L’appui apporté par les agronomes et animateurs du MPP a permis aux groupes d’être formés à la gestion de conflit notamment, mais également à la gestion des comptes. Les retombées sont réelles comme l’exprime la secrétaire du groupement Famn Solid : « Avant, il y avait beaucoup de problèmes entre nous au sein du groupe. La formation en gestion de conflit nous a beaucoup aidées et maintenant nous nous entendons mieux et nous communiquons plus souvent. »
Le MPP a également mis en place un suivi post-formation pour les membres du mouvement, leur permettant d’être aiguillés dans la mise en place de plans d’action concrets, et de pouvoir demander une dotation financière et en équipement, pour faire se poursuivre les activités et les diversifier.
Se rendre visible et audible
Par les savoir-faire tant techniques que citoyens que les membres ont acquis, ils se rendent acteurs de leur communauté, comme peut en témoigner l’un des membres du comité citoyen de Papaye, dans la commune de Hinche : « Tout le monde est au courant de ce que nous faisons. Les activités de mobilisation sont plus faciles et parfois, ce sont les habitants même qui nous contactent pour résoudre un problème dans la localité ». Le coordinateur de l’une des brigades agro-sylvicoles ajoute « Nous sommes plus visibles grâce aux formations sur les techniques de protection de l’environnement dans la localité ».
Les activités mises en place par les groupements, qu’il s’agisse de pépinières pour reforester les environs et cultiver des fruits et légumes, ou encore d’autres techniques agroécologiques, permettent de valoriser le travail des populations paysannes. En effet, leur visibilité et leur rôle essentiel pour l’autosuffisance alimentaire sont accrus tant auprès des autorités que de leur voisinage.
Les productions sont vendues localement, évitant aux villageois d’avoir à se rendre au marché, très souvent difficile d’accès à cause de l’insécurité et du mauvais état des routes ! Par exemple, le trésorier du groupement paysan Resistans de Ceramont à Hinche explique : « Quand nous allons récolter le haricot [pois congo], nous informons les habitants de la zone pour qu’ils viennent en acheter. En général, nous leur vendons les récoltes à un prix inférieur à celui du marché pour les encourager. »
Du travail collectif découlent donc également de meilleures conditions de vies pour les membres des collectifs et leur entourage. Cette dynamique concrétisée par les différents collectifs attire d’autres personnes encore non-membres et les encourage à se regrouper à leur tour : au cours du projet, trois groupements paysans s’étaient associés pour cultiver ensemble une parcelle de deux hectares de canne à sucre. A la vue des résultats obtenus par les groupements, une cinquantaine de paysans se sont montrés intéressés à créer à leur tour un collectif. L’une des animatrices du MPP témoigne en ce sens : « La diversification des activités au sein des groupements amène plus de membres et augmente ainsi leur visibilité. »
Au terme de (plus de) trois années de projet, le temps est venu pour le Mouvement Paysan Papaye et Frères des Hommes de se projeter sur l’avenir. En se basant sur les acquis de cette dernière phase et les témoignages et propositions des acteurs locaux, tout laisse à penser que ce beau projet a vocation à se poursuivre, pour que les populations paysannes haïtiennes puissent faire entendre leurs voix et gagner en pouvoir d’agir !