Comment est-ce que FEDINA parvient à gérer ses actions dans les cinq Etats où elle est présente ? Comment est-elle structurée ?
L’organisation de Fedina est assez intéressante et cohérente. C’est un réseau d’action sociale formé de dix-neuf groupements. A Bengalore se trouve la « Central team » composée par les salariés permanents qui sont les coordinateurs du réseau. Aujourd’hui au nombre de huit ils gèrent chacun un secteur d’activités de Fedina (populations tribales, logements, dhalits, ouvriers agricoles, rouleuses de bidis etc.). Chacun de ces coordinateurs a différents groupements à sa charge et donc il doit les visiter à minima une fois par mois, avoir des relations journalières avec eux et notamment être en lien avec les deux personnes (normalement un homme et une femme) qui chapeautent les groupements et qui coordonnent les activités directement sur le terrain.
Quels sont les obstacles majeurs en ce moment ?
En ce moment c’est surtout la politique l’écueil majeur. Nous observons un gouvernement de droite, voire d’extrême droite, au niveau national, qui encourage des tensions entre les communautés religieuses et également le système des castes, notamment en zone rurale. On observe une dilution de plus en plus rapide des droits du travail et le contournement de l’application de grandes conventions internationales du travail censées protéger les travailleurs. Le taux de chômage qui augmente, à cause du dumping sociale et des délocalisations, rend difficile pour les travailleurs de négocier leurs conditions auprès des patrons. Il devient toujours plus dur pour eux de partir.
Il existe aussi des obstacles structurels car les personnes avec qui nous travaillons sont issus de castes inférieures ou sont hors-castes comme par exemple les intouchables, victimes d’une ségrégation sociétale. Ce sont également des personnes qui ont eu peu d’éducation et qui n’ont pas d’informations concernant les lois du travail ou leurs droits. Ils ne savent pas qu’il n’est pas normal de se faire battre par l’employeur, ou ils ne savent pas comment le faire arrêter : ils sont désemparés. Un autre obstacle est constitué par les organisations de charité qui compliquent la mobilisation des gens, désormais habitués à recevoir de l’aide matérielle ou financière. Le dernier obstacle c’est le rapport entre sexes, l’inégalité du genre. Les femmes sont vues comme la moitié d’un homme, donc elles n’ont pas les mêmes droits en dépit du fait que leur charge du travail est beaucoup plus lourde si on compte les tâches ménagères et le soin des enfants.
Quel a été le moment qui plus t’a marqué de ce voyage ?
Ce qui m’a plus marqué tout le temps ce sont les visites dans les groupements de base. C’est-à-dire aller sur le terrain, être entouré par ces femmes qui se battent entre elles pour être la première à partager son histoire. Malgré tout ce qu’elles subissent, elles arrivent toujours à avoir de l’espoir.
La rencontre la plus forte que tu as eue ?
C’est la rencontre avec Rathi Pavithra K qui est venue me voir accompagnée de ses deux filles, car elle est dans une situation très précaire, qui s’améliore petit à petit. Elle a été battue très violemment par son mari dès qu’elle a accouché. Maintenant elles ont bien grandi. Il y en a une qui est adolescente et une pré- adolescente. Son mari était devenu très alcoolique et avait même revendu les meubles de la maison à cause de son addiction. Elle ne savait pas quoi faire ni avec qui en parler. Elle se sentait isolée. Au bout d’un moment une voisine lui a parlé d’un certain groupe qui aidait les femmes et elle y est allée. Cependant ce n’était pas le bon groupe pour elle, elle ne s’est pas sentie écoutée et encore moins supportée. Elle s’est complétement découragée avant de retrouver Fedina. Elle a entendu parler de Fedina qui ouvrait un bureau juste à côté de chez elle. Elle s’est présentée le jour même de l’inauguration des bureaux et là elle a trouvé vraiment des amis. Lorsque son mari l’a battue à plusieurs reprises, les équipes de Fedina sont intervenues aussi bien à 3 h du matin qu’à midi. Du moment que le problème persistait et l’alcoolisme empirait, le groupement a décidé d’aider Rathi encore plus et de mettre ensemble les moyens économiques de tous pour payer la cure de désintoxication pour son mari. Ça n’a pas forcement fonctionné mais aujourd’hui il a arrêté à nouveau de boire depuis 6 mois. En tout cas même quand il est sous emprise de l’alcool, la situation est bien meilleure pour Rathi. Elle le repousse, elle arrive à quitter la maison s’il le faut, en tout cas elle ne se laisse plus faire. Et surtout elle partage sans cesse son histoire au sein du groupe et elle aide d’autres femmes.
Rathi Pavithra K