Les coups de boutoir de l’Homme sur la biodiversité ont fini par favoriser l’émergence du Covid19. Créateur de résistances aux virus, la biodiversité est aussi en soi un frein à leur transmission. Les exemples sont nombreux où l’Homme par son action (chasse, braconnage, déforestation) a accentué la proximité avec des espèces sauvages et donc augmenté les risques de contamination réciproque. On le voit, ce qui est en jeu est la question même du respect du vivant et de l’environnement sur une planète maltraitée. La crise sanitaire actuelle et ses conséquences ont après coup été amplifiées par un système politique, économique et social basé sur l’exaltation de l’individualisme et la mise en concurrence. Un système qui accapare les ressources naturelles et les biens communs, délite les liens sociaux, privatise les services publics au détriment de l’intérêt général. Que ce soit en France ou dans les pays où Frères des Hommes mène des projets, le constat est le même, l’absence de considération de cet intérêt collectif a retardé ou empêché la réponse à la crise. En fin de compte il s’agit de réaffirmer que les (in)justices environnementale et sociale sont indissociables.
Il y aura nécessairement un « après » coronavirus. Car l’ampleur de cette crise montre l’extrême fragilité de ce système mondial et la nécessité d’une réponse juste et durable. Cette réponse passe pour Frères des Hommes par la transformation sociale, c’est-à-dire permettre aux populations en situations de vulnérabilités de s’émanciper, de conduire localement des actions de changement. C’est cette somme de changements qui va contribuer à la transition vers une société fondée sur la justice sociale, environnementale et climatique. Ceci est d’autant plus important car ce sont les personnes déjà en situation de grande vulnérabilité qui sont les plus touchés par cette crise et ses conséquences. Au Pérou, ce sont les banlieues populaires aux habitats très précaires et aux habitants sans accès à l’eau ou à la santé. Au Rwanda, ce sont les paysans aux minuscules parcelles qui ne peuvent plus écouler leur production, tout comme ceux de la région aride du Kayor au Sénégal ou du centre d’Haïti. En Inde à Bangalore, ce sont les employées de maison et les retraitées qui se sont retrouvées du jour au lendemain sans ressources.
Cette société juste et durable, organisée sur des principes de solidarité, de coopération et de respect, que nous appelons de nos vœux ne sera possible que si ces populations ont les capacités de contribuer à ce changement. Mais face aux conservatismes qui entendent préserver les situations et rapports de domination, ces populations sont déconsidérées et mises en marge de la société. Esseulées, elles ne peuvent être actrices de changement. C’est là qu’intervient la nécessité de faire alliance prônée par Frères des Hommes, là où nous avons toutes et tous un rôle à jouer. Cette alliance, c’est une volonté commune de ne pas reproduire de rapports de domination, une volonté de se donner un pouvoir d’agir collectif. Populations en situations de vulnérabilités, animateurs, formateurs, responsables de projet, volontaires, salarié.es, bénévoles et donateurs de Frères des Hommes font partie de cette alliance. Aujourd’hui, chacun, chacune peut en devenir un maillon.
Cette crise touche tout le monde. A son terme elle va donner l’opportunité de se rassembler, de devenir tous des allié.e.s. Ce n’est pas une utopie mais bien une réalité du quotidien : nous sommes toutes et tous en capacité de nous mettre en lien, d’agir. Les actions menées avec nos organisations partenaires le prouvent.
L’équipe de Cenca, à Lima, partage un lien très étroit avec les femmes qu’elle accompagne. C’est sa vision de la transformation sociale qui a permis de le construire. Cenca estime qu’il faut travailler main dans la main, promouvoir la participation, déléguer la responsabilité pour que le changement se crée. Dans les quartiers populaires de Bangalore en Inde, l’organisation Fedina ne se pose pas en pourvoyeur de solutions mais se situe au contraire dans la position de celui qui apprend des populations qu’il défend. C’est un travail tout en horizontalité qui est mené pour petit à petit pour comprendre la réalité, les conditions de travail des populations en situation de vulnérabilités. Cette proximité nous la retrouvons à Bukavu en République démocratique du Congo entre l’Association pour la promotion de l’entrepreneuriat féminin et les femmes qui fréquentent son centre de formation. L’alliance n’est pas non plus un vain mot au sein du Mouvement paysan Papaye, elle fait partie de son « ADN », c’est le cas aussi au Rwanda avec nos partenaires Adenya et Duhamic-Adri. Enfin au Sénégal, l’Union des Groupements Paysans de Meckhé s’est structurée autour des paysans de manière à être très proche des populations et des communautés.
Cette alliance, entre les femmes et les hommes issues de situations de vulnérabilités et celles et ceux issues de situations socialement privilégiées est le meilleur des antidotes à la crise. C’est en tout cas le moyen le plus puissant d’engager concrètement notre société dans une transition en réponse aux grandes fragilités et injustices du système actuel.
Tribune : "Cette crise est l’opportunité de devenir des allié.e.s"
Publié le
5 juin 2020
- Mis à jour le
4 février 2021