[25 NOVEMBRE] Au Pérou, les femmes de Mariategui font entendre leur voix

Près d’une femme sur trois dans le monde est victime de violences physiques et/ou sexuelles. Loin d’accepter cet état de fait, Frères des Hommes et ses partenaires à l’étranger se mobilisent pour faire changer la situation. Au Pérou, notre partenaire Cenca accompagne et sensibilise les habitant·e·s du quartier de José Carlos Mariategui aux problématiques du genre, au travers de sessions de conscientisation, d’accompagnement juridique, psychologique et social des femmes victimes.

Au Pérou en 2020, les autorités enregistraient 254 318 plaintes pour violences au sein du foyer, 293 tentatives de féminicide, et 136 cas avérés. 12 000 femmes étaient également portées disparues dans le pays cette même année. La violence de genre est présente partout au Pérou : astreintes aux travaux ménagers et à l’éducation des enfants, les Péruviennes cumulent trop souvent précarité économique, exclusion sociale et violences conjugales. Pour agir et changer la donne, l’organisation Cenca a mis en place plusieurs outils de sensibilisation aux violences de genre, et d’accompagnement des femmes victimes. Progressivement, les femmes prennent conscience de leurs droits et font entendre leurs voix. Elles osent, et cette audace est nécessaire à un changement vital !

Des formations pour comprendre et agir ensemble

Baptisé « Habla Mujer » (« Parole de femmes »), le projet que mène Frères des Hommes avec Cenca vise à enrayer collectivement toute forme de discrimination à l’égard des femmes, et à promouvoir la parole féminine comme moteur d’innovation sociale et d’amélioration des conditions de vie des communautés précarisées en périphérie de Lima.

« Habla Mujer » se matérialise notamment par diverses sessions de sensibilisation et de formation non mixtes aux droits des femmes qui sont organisées à Mariategui, en banlieue de Lima. Parmi les thématiques abordées, on retrouve : « Développer l’estime de soi et reconnaître ses émotions » ; « Rompre les stéréotypes de genre » ; « Prévention sur les violences liées au genre : connaître les différents types de violences et ses droits » ; « Les mécanismes et institutions pour dénoncer ces violences » en partenariat avec le Centre d’Urgence pour Femmes et le commissariat… Tant de sujets abordés et traités sous le prisme psychologique, juridique ou social, grâce à la diversité des profils composant l’équipe de Cenca.

Abilia Alcantara Ramos est promotrice sociale au sein de Cenca. Elle est quotidiennement au contact des femmes accompagnées par notre partenaire. D’après elle, « le premier impact de Habla Mujer c’est que ces femmes puissent raconter la manière dont elles ont été dans la souffrance depuis qu’elles sont petites. L’objectif de notre travail est que les femmes prennent conscience qu’elles ont des droits et qu’elles ne doivent pas se dénigrer.  » Le partage d’expérience en non-mixité fait partie intégrante des techniques d’éducation populaire utilisées par Cenca dans la sensibilisation et le développement des pouvoirs d’agir. En partageant, les femmes sortent de l’isolement et renforcent leur estime d’elles-mêmes.

Abilia illustre très bien cette méthode : « Lorsqu’il y a de la violence dans un foyer, on a honte. On a peur de ce que va penser notre famille ou les voisins et finalement, en groupe, on se rend compte qu’on vit toutes la même situation. Ça nous motive à aller dénoncer au commissariat, on s’aide dans l’action, on s’aide à faire bouger les choses alors que lorsqu’on est seule, c’est difficile de réagir.  » Au travers des différentes formations animées par Cenca, et des lieux d’écoute et d’échange, les femmes de Mariategui se renforcent individuellement et collectivement : « On a appris à certaines femmes à se servir de la technologie, de nombreuses femmes étaient enfermées avec leur propre agresseur chez elles dans leur maison. Ce sont ces femmes qui ont réussi à s’émanciper grâce au travail qui était fait en amont avec Cenca qui ont commencé à dénoncer ces violences, elles se sont senties assez fortes et légitimes pour dénoncer les pères qui ne payaient pas les pensions alimentaires par exemple… »

Soutenir psychologiquement les victimes

En mars dernier, Flor Altamirano, l’une des femmes accompagnées par Cenca témoignait à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes : « Parlons de la violence psychologique. Toute agression sans contact physique est difficile à prouver. Elle est fréquente dans les contextes sociaux, familiaux, scolaires et professionnels, avec des phrases disqualifiantes et humiliantes qui visent à diminuer l’estime de soi. Elles se sentent plus faibles, peu sûres d’elles et vulnérables face à l’agresseur. Dans ces cas, il est très important qu’une personne psychologiquement vulnérable cherche de l’aide, mais il est également très important qu’elle soit entendue. » Se faire entendre : là est tout l’enjeu du travail mené depuis plusieurs années avec Cenca.

Kelley Ramirez est psychologue chez Cenca : à Mariategui, elle accompagne des femmes victimes de violence, ainsi que des enfants et adolescents. Elle raconte : « Les femmes ont besoin de s’autonomiser et de développer leur pouvoir d’agir car beaucoup d’entre elles subissent des violences, et ont peur de dénoncer leur mari. Donc parce qu’elles sont le pilier de leur foyer et qu’elles dépendent beaucoup de leur mari au niveau économique, elles ont peur de les dénoncer, peur de l’abandon, peur de se refaire agresser. […] Je leur apporte un soutien émotionnel pour que les femmes puissent continuer et dénoncer leur mari, pour qu’elles ne sentent pas intimidées, mais accompagnées et protégées. »

Une permanence psychologique est tenue par Kelley 2 heures par semaine à Mariategui : au cours des 18 derniers mois du projet, la psychologue a pu accompagner près de 80 femmes grâce à cette permanence.

Une aide juridique indispensable

Kelley Ramirez travaille en collaboration avec Esther Alvarez, avocate et chargée du conseil juridique aux femmes victimes de violences conjugales. Esther témoigne : « Je leur donne des conseils juridiques et je fais également l’accompagnement et la défense judiciaire. Souvent les pères de famille laissent leur compagne et ne leur donnent pas de nourriture et dans cette défense je bataille aux côtés des compagnes. […] On impulse les choses pour qu’elles se réalisent. On se charge de créer des documents pour être en mesure de demander l’audition. Généralement, les femmes que j’accompagne ont peur de parler au juge ou aux représentants légaux. » Comme Kelley, Esther tient une permanence juridique hebdomadaire à Mariategui : « Je leur explique quel est le processus, ce qu’il reste à faire. Je les accompagne toujours quand il y a une audience. Elles apprennent au fur et à mesure à ne plus avoir peur et à faire appliquer leurs droits, à s’approprier cet espace juridique qui était lointain pour elles.  »

La déferlante de femmes

Conscientes de leurs droits et de leurs voix, les femmes de Mariategui se mobilisent pour que cette prise de conscience se diffuse jusqu’aux plus hautes sphères péruviennes ! Violeta Olivo, accompagnée par Cenca, clamait dernièrement : « Cette époque est révolue, où une femme ne pouvait pas prendre la parole à une table lorsqu’elle déjeunait avec son mari ou sa famille, où une femme ne pouvait pas intervenir dans une élection électorale, c’est fini, ne permettons plus cela  ! Soyons fortes, soyons courageuses, aimons-nous les uns les autres ! En tant que femmes, nous ne devrions pas nous permettre d’être violées physiquement, car cela a trop d’impact sur nos vies. En tant que femmes, nous devons nous aimer et nous valoriser. »
Nombreuses ont été les manifestations organisées par les femmes en situations de vulnérabilités, à l’occasion de journées internationales ou bien à la suite d’un énième féminicide. Ce 27 novembre 2022, Cenca et les femmes du projet « Habla Mujer » organisent à Mariategui le festival « Huayco de mujeres » (déferlante de femmes). En proposant différentes activités (théâtre d’improvisation, sérigraphie militante, prises de paroles et concerts engagés) lors de cette journée, l’objectif est de sensibiliser un public très large sur les violences faites aux femmes. L’occasion de visibiliser des acteurs extérieurs pouvant venir en aide aux victimes de violences : psychologues, thérapeutes, médecins… En 2023, notre partenaire Cenca coordonnera une étude participative portant sur les violences envers les femmes à Mariategui, de quoi mettre en lumière une fois de plus les ombres d’une société machiste, et ne jamais cesser de soutenir les initiatives citoyennes qui visent à y mettre fin.