Au siège de l’organisation Adenya , à proximité de la frontière avec le Burundi, Léonie, une des formatrices du projet, se montre convaincue de la force du collectif : « Pourquoi les paysans se regroupent ? Pour un paysan seul c’est très difficile d’y arriver. En rejoignant un collectif, on supprime l’isolement, ils échangent dans le groupe, ils peuvent mener des actions collectives. » Si, de fait, la campagne rwandaise est jalonnée par des collectifs plus ou moins organisés, plus ou moins informels (ce qu’on appelle des organisations communautaires de base), le but des deux organisations rwandaises partenaires du projet est de les inciter à s’organiser de manière plus « officielle ». Avant de démarrer le projet « Récasé », la question était d’abord de savoir quel collectif faisait quoi, quelle était son organisation et quels étaient les besoins. Un énorme travail de recensement de ces collectifs dans les régions de Nyaruguru et Huye (dans le sud du pays) a été entrepris : « Plus de 1 000 personnes ont été identifiées comme possibles bénéficiaires du projet. Ça a représenté beaucoup d’efforts, beaucoup de préparation. On a travaillé en équipe, on est allé sur le terrain » ajoute Juvénal, un des coordinateurs du projet.
Les collectifs travaillent la terre en commun
L’entrée du projet est double : permettre aux familles paysannes de lutter contre la malnutrition et renforcer les collectifs existants. Le tout grâce à une formation technique en élevage et une plus organisationnelle. Les formations techniques sont « un moyen pour mener des activités d’organisation, de structuration des paysans, pour renforcer leur cohésion » dit Fidèle, l’autre coordinateur de « Récasé ». Elles sont en tout cas très liées au jardin commun, sorte de jardin modèle créé et entretenu par le collectif de paysans, sur lesquels ils testent les techniques apprises, techniques qu’ils mettent ensuite en application sur leur propre parcelle. Le jardin communautaire devient un lieu de rassemblement : « Il y a des personnes très pauvres qui n’ont pas forcément le matériel nécessaire pour cultiver chez eux. Chaque personne du collectif amène un arbre ou un outil pour aider les autres membres. Il y a des relations sociales qui se construisent » indique Léonie. Elle ajoute : « Il y a aussi les pépinières que les paysans cultivent ensemble. Les paysans amènent leur force avec eux, ils entretiennent, ils repiquent. Chaque semaine, les collectifs se rencontrent et travaillent la terre en commun. » La mise en place des tontines (système d’épargne collectif) a aussi été un moment important. Elles reviennent dans la bouche de beaucoup de paysans, car c’est une réponse commune à des problèmes quotidiens et elles permettent de lancer des actions collectives. « Le comité qui représente le collectif a été élu, on a commencé la tontine et déterminé la part sociale de chacun » dit Jacqueline, membre d’un collectif près de Kigoma.
« Avec les autres tu te sens dans une société »
Chaque collectif est doté d’un bureau (avec un-e président-e, un-e vice-président-e, un-e trésorier-e et un-e secrétaire général-e), d’un comité de surveillance et d’un comité de suivi. Chaque membre du collectif, surtout, est formé à connaître le rôle de ces différents niveaux. « On forme sur la gouvernance, la responsabilité de chacun : que fait le CA, que fait le président ? On parle aussi de la nécessité de changer de président, d’alterner » dit Léonie. « On s’est rendu compte pendant les formations que pas mal de membres des collectifs ne comprenaient pas bien leur rôle. » conclut Juvénal. Cette organisation très poussée des collectifs est là pour renforcer leur autonomie et leur légitimité. « Nous pensons dit Fidèle, coordinateur du projet, que la démocratie participative commence dans ces collectifs. C’est pour cela que les paysans sont formés, pour qu’ils soient des acteurs de développement local et des porte-parole des paysans. » Dans un pays qui favorise une agriculture industrielle et des monocultures de blé et de maïs, où l’administration est considérée comme intouchable, un paysan rwandais (dont la majorité n’a que de petites parcelles de terre à cultiver) a du mal à se faire entendre. C’est au niveau des politiques locales de développement rural que beaucoup se joue : « Ces collectifs de paysans devraient avoir un rôle important dans la conception, ajoute Fidèle, la mise en œuvre et l’évaluation de ces politiques. C’est pour cela que nous avons les parlements virtuels, qui sont des espaces de concertation entre acteurs locaux, autorités locales et les collectifs de paysans. » C’est ce qui s’est passé avec le collectif auquel appartient Beatt : « On a parlé avec l’administration à propos du centre de santé, dans lequel il y avait des problèmes, on a pris l’initiative. On leur a aussi parlé de notre expérience dans la culture du soja, qui peut être utilisé pour améliorer l’alimentation. »
Mais au-delà de cette interaction avec l’Etat, c’est la question du déclassement social des paysans qui est en jeu et de la réponse que peut apporter le collectif. C’est ce dont témoigne Juvénal, un des coordinateurs du projet : « Se mettre ensemble est important. Avec les autres tu te sens dans une société, tu peux oser parler. Car les ménages avec lesquels nous travaillons sont parmi les plus pauvres et se sentent exclus. On leur met à disposition un espace d’expression. »