Pourquoi t’es-tu engagé pour la reconnaissance des Dalits ?
Je viens du mouvement étudiant. Lorsque que j’étais à l’université, nous avions appris qu’un jeune Dalit était mort de faim. Nous sommes tous allés manifester pour protester contre sa mort. Après cette expérience, je me suis consacré entièrement à la reconnaissance des Dalits. J’ai commencé à me rendre dans plusieurs villages à leur rencontre, pour discuter avec eux, comprendre leurs problèmes. Partout où ils subissaient des injustices, nous organisions des manifestations. Au fur et à mesure, j’ai réalisé qu’ils sont aussi rabaissés en tant que travailleurs. Le Dalit c’est le travailleur migrant, c’est aussi le travailleur agricole sans terre. J’ai aussi commencé à comprendre que les Dalits chrétiens subissaient les mêmes types de discriminations. Même si ils s’étaient convertis au christianisme, ils restaient Dalits dans les faits. C’est à ce moment que j’ai rejoint Fedina, en 1996.
Quelle est la situation des Dalits aujourd’hui ?
Dans les villes, la discrimination à leur encontre n’est pas aussi visible que dans les villages où la situation est la même qu’il y a 70 ans. Dans les zones rurales, les femmes Dalit travaillent mais ne sont pas payées. On leur fait nettoyer l’abri pour le bétail, elles nettoient aussi le troupeau. C’est une habitude qu’elles ne soient pas payées. Quand la récolte arrive on leur donne un sac de blé, le reste de l’année elles ne touchent pas de salaire. Mais il ne faut pas croire que tout va bien dans les villes. Dans les bureaux, les employeurs essayent par exemple de contourner un programme d’accès à l’emploi pour les minorités en Inde. Ils vont employer des personnes qui ont droit à ce programme mais qui ne viennent pas de communautés Dalits. Autre exemple, dans le quartier où nous nous trouvons, à Bidar, en pleine ville, nous connaissons le cas d’une femme employée de maison. Son employeur lui fait nettoyer les toilettes, le jardin, tout ce qui est à l’extérieur. Elle doit aussi nettoyer son magasin. Par contre elle ne peut pas aller à l’intérieur de la maison. Le nettoyage de l’intérieur est fait par une autre femme, d’une caste supérieure. Et cette femme Dalit dont je parle est payée en nature, en blé, mais pas en roupies.
Fedina permet aux populations en situations de vulnérabilités d’accéder à une certaine forme de savoir, ces populations ont, elles, l’expérience liée à leur parcours. Comment fonctionne votre interaction ?
Le savoir seul ne va rien changer. Vous aurez besoin du pouvoir des gens pour que le changement ait lieu. Vous pourrez écrire une lettre aux autorités pour demander que telle ou telle chose change mais, à moins que ces autorités se rendent compte que ladite lettre est soutenue par des personnes organisées, elles ne prendront pas votre lettre au sérieux. Par exemple, pendant les dernières élections législatives, nous avons lancé une mobilisation pour que les retraités puissent avoir droit à 5 000 roupies de ressource par mois. Nous avons frappé à toutes les portes. Et là un des candidats principaux a inclus cette demande dans son programme. Qu’il la mette ensuite en pratique est une autre étape, le plus important est que ce soit une demande qui vienne de la population, que cet homme politique y ait répondu et l’ait prise en compte. Ce type de mesure renforce l’impression que les gens peuvent collectivement influer le cours de choses.
Quelle est l’attitude du gouvernement vis-à-vis des Dalits ?
Il fait tellement peu pour les Dalits, les travailleurs ou les populations en situations de vulnérabilités. Les autorités ne consultent jamais ces populations, pour la construction de logements par exemple. Forcément les décisions qu’ils prennent ne correspondent pas à leurs besoins. Beaucoup de choses sont promises pendant les élections. Les candidats promettent des emplois mais s’ils gagnent, les manœuvres politiques recommencent. Ils vont peut-être construire un centre communautaire pour les Dalits ou pour les agriculteurs mais ce n’est pas ce qu’on attend d’eux.
De quoi avez-vous été le plus fier dans votre travail jusqu’à présent ?
De deux choses principalement. Les femmes porteuses de charge n’avaient pas de statut, elles n’étaient pas reconnues. La situation a changé maintenant, on les reconnait officiellement. C’est un pas important. Avant personne ne s’en souciait. Rien, pas même un feuille de papier ne montrait leur existence. Les amener à se mettre ensemble et à être reconnues a été très important. L’autre réussite concerne le bureau d’aide sociale pour les travailleurs du secteur informel pour lequel nous nous sommes mobilisés, sur l’exemple de ce qui avait été fait dans les Etats du Kerala et du Tamil Nadu.
Quel est votre espoir pour l’Inde ?
Que cesse la corruption, qui est extrêmement importante. Les populations en situations de vulnérabilités en seraient les premières bénéficiaires.