Quelle est la première chose qui t’a marquée à ton arrivée à Méckhé ?
Ce qui m’a marqué c’est d’abord la chaleur, et aussi le sable omniprésent. C’est assez paisible. Il y a 30 000 habitants et la ville reste proche de Saint-Louis ou de Dakar. Je savais que j’arrivais dans un milieu rural donc je n’ai pas eu de grande surprise.
De quoi as-tu été chargée auprès de l’Union des Groupements Paysans de Meckhé (UGPM) ?
J’étais chargée d’appuyer un projet dont le but est de réactiver, redynamiser des groupements paysans que l’UGPM accompagne. Je contribuais à la construction de parcours de formation et la capitalisation (comme un bilan) des méthodes d’animation que l’UGPM emploie pour faire vivre ses groupements. La construction des parcours de formation a été quelque chose de très important dans ce projet, ils sont maintenant présents, bien construits, formalisés. C’est une ressource supplémentaire qu’ils vont utiliser plus tard. J’ai beaucoup travaillé pour cela avec les équipes d’animateurs qui sont installés au sein même des villages. Enfin, je faisais aussi le lien avec Frères des Hommes.
Quel est le rôle de la formation ?
Il y a différents types de formation. Il y a les formations techniques que les paysans pourront utiliser dans leur quotidien. Et il y a les formations organisationnelles qui facilitent le fonctionnement d’un groupement, qui permettent l’implication de tous les paysans dans le groupe. Il y avait aussi des formations aux techniques d’animation (partager la parole, préparer l’ordre du jour etc…) destinées directement à ces animateurs qui coordonnent les groupements pour justement améliorer, fluidifier cette coordination. Après, il faut avoir en tête que ces groupements paysans existent de manière indépendante. Ce sont eux qui sont venus voir l’UGPM pour être appuyés. Ils veulent mieux fonctionner, on retrouve ce type démarche en France aussi, dans des associations ou des entreprises.
Comment Frères des Hommes accompagne cette formation ?
Cela commence d’abord par un recueil des besoins de l’UGPM. Ensuite vient la mobilisation des connaissances pour répondre à ces besoins. Ces connaissances peuvent provenir de Frères des Hommes ou directement de l’UGPM qui a une expertise en animation. Frères des Hommes et l’UGPM vont échanger et valider ensemble le parcours de formation, qui sera construit au fur et à mesure. Par exemple, la formation en technique d’animation a été créée de toute pièce, le besoin est venu du fait que les animateurs au sein des groupements ne sont pas des animateurs de profession.
Quel type de changement as-tu pu voir ou commencer à voir au niveau des paysans pendant ces trois ans au Sénégal ?
On s’aperçoit d’une évolution au niveau de leur motivation. Certains groupements se réunissaient peu ou bien peu de monde assistait aux réunions. Au fur et à mesure du projet, on a vu que les gens étaient en demande ou mettaient en place leurs propres actions, de fait ils allaient plus loin que ce que l’UGPM pouvait leur proposer.
Le Kayor est une région assez peu connue du Sénégal, est ce que tu peux nous en parler ?
C’est une région rurale entre Dakar et Saint-Louis, où on trouve aussi de l’artisanat. Historiquement, il s’agit du bassin arachidier du pays, une production qui reste très présente. La zone subit un fort exode rural pendant la saison sèche mais la solidarité familiale et communautaire y est très importante.
Comment la société sénégalaise considère le paysan au Sénégal ?
Le paysan représente les métiers de la terre, il n’est donc pas forcément socialement valorisé, comme un peu partout dans le monde d’ailleurs. C’est justement une des missions de l’UGPM de revaloriser la condition de paysan, le travail de la terre, l’identité de ceux qui nourrissent le pays. Ce qu’a révélé la crise c’est que le Sénégal n’est pas autosuffisant au niveau alimentaire. L’Etat importe beaucoup, du riz notamment. La réalité d’un paysan est dure, neuf mois de saison sèche et trois mois de pluie. Souvent les paysans ont d’autres activités pour pouvoir vivre. Beaucoup de jeunes partent en ville ou à l’étranger, en Europe ou en Amérique du Sud. Donc la plupart du temps il y a en majorité des femmes et des hommes plus âgés dans les villages.
Qu’apporte l’action de l’UGPM dans les villages ? Comment ses actions contribuent-elles finalement au changement social dans cette partie du Sénégal ?
C’est le but de son action. Je parlais tout à l’heure du partage de la parole comme technique d’animation de l’UGPM. C’est important que tous les paysans participent, c’est un enjeu important de changement social car la parole ne se distribue pas naturellement de manière équitable. Autre exemple de changement social : les actions de solidarité organisées par les groupements comme les achats groupés qui contournent le circuit de consommation classique du village et permettent aux paysans d’accéder à des produits à prix moindre. Le groupement est vraiment une instance de solidarité, il contient l’idée de partager, de soutenir des personnes dans leur besoins quotidiens, de dépasser les lourdeurs socio-économiques.
Il y a eu (et il y a encore) une réflexion au sein de l’UGPM sur les rapports de domination au sein des groupements, est ce que tu peux en parler ?
Cette thématique des rapports de domination a émergé au cours de discussions du collectif Former pour transformer, qui rassemble Frères des Hommes et ses partenaires. L’UGPM s’est demandée si ces rapports de domination étaient ou non la raison du mauvais fonctionnement de certains groupements. Des séances de discussion ont donc été lancées dans une dizaine d’entre eux, l’idée était de laisser la parole et de faire émerger des situations de domination. Par exemple, il a été dit que les jeunes femmes s’expriment moins quand leurs beaux parents sont dans la même assemblée ou que les mêmes personnes sont élues depuis trop longtemps et prennent parfois les décisions seules. Il y eu beaucoup de discussions mais elles ont été vues comme quelque chose de positif. Ça a été une base pour repartir sur quelque chose de neuf.
La place des femmes est très forte au sein de l’UGPM, n’est-ce pas ?
Oui les femmes sont présentes, elles prennent la parole, il y a des évènements qui valorisent leur place. Cette volonté est retransmise dans les groupements, dans certains d’entre eux les femmes sont très présentes. La plupart des animateurs qui vivent dans les villages sont des animatrices. Même si traditionnellement, être une femme, jeune, est plus difficile, l’UGPM est mobilisée sur cette question. Il y a une liberté de parole assez forte. C’est encouragé.
Comment l’UGPM implique les paysans dans ce processus de changement ?
C’est une organisation qui travaille par l’animation, ils discutent beaucoup. On peut retrouver cette caractéristique dans la société sénégalaise. Ils donnent beaucoup la parole, ils poussent les paysans, tous les paysans, à s’exprimer. C’est une dynamique qui pousse à la réflexion. L’animateur fait en sorte que ces moments de discussions soient réguliers, que ce soit pour aborder des questions logistiques ou des thèmes plus sociaux. L’UGPM ne déverse pas son savoir, d’abord ils questionnent. Ce qui est dit doit alimenter le fonctionnement du groupement lui-même. Les solutions viennent de la base, du groupement. L’UGPM est vraiment ce qu’on appelle une organisation de base, d’ailleurs leur siège est toujours ouvert.
Comment les pouvoirs publics voient l’UGPM ?
Ils ne sont pas dans une perspective de rapport de force avec l’Etat, l’Union travaille avec l’Etat mais ça n’empêche pas des prises de position fortes sur des sujets majeurs, comme les semences ou les cas d’expropriation. Pour l’UGPM, la priorité est le bien être du paysan, de lui permettre de connaître ses droits ou ses devoirs. Ils jouent un peu le lien entre l’Etat et les paysans.
Une personne ou un groupe de personnes qui t’a marquée ?
Je dirais l’équipe de l’UGPM, où il y a des personnes très engagées et pointues, qui connaissent beaucoup de choses, qui font beaucoup de choses, en étant peu ou pas rémunérés. Ils ne sont pas des salariés, ils veulent s’investir pour leur communauté. S’il ne fallait citer qu’une personne ce serait Fatou Binetou Diop qui est à la fois responsable de programme à l’UGPM, militante dans plusieurs organisations de la société civile, engagée en politique, mère de 5 enfants et surtout engagée pour la cause des femmes en général.
Si le Sénégal était un son ?
Les percussions, qui représentent la chaleur dans le pays, sur les deux niveaux, chaleur du soleil et chaleur humaine.