Edito
La solidarité internationale,
notre capital
Pour Frères des Hommes, la solidarité internationale a toujours été un élan vers nos organisations partenaires à l’étranger et bien sûr vers les populations avec lesquelles elles sont engagées au quotidien. Cette solidarité qui nous anime nous pousse à apporter notre contribution pour plus de justice sociale.
Aujourd’hui nous sommes impliqués dans les projets menés avec nos partenaires d’Inde, du Sénégal, d’Haïti, du Congo, du Pérou, du Rwanda… Notre équipe parisienne et nos volontaires sur place participent à la formalisation des connaissances et savoir-faire de ces organisations. Nous intervenons auprès des équipes de formateurs et d’animateurs pour leur permettre d’améliorer leurs pratiques d’accompagnement des populations en situations de vulnérabilités. C’est un véritable « capital-savoir » que nous contribuons à constituer. Prendre le temps de documenter nos méthodes a trois effets positifs majeurs.
Le premier bénéfice est pour les populations avec lesquelles sont mobilisés nos partenaires. Cela permet d’adapter au mieux les parcours d’émancipation individuels et collectifs et ainsi d’accroître l’autonomie et les capacités d’actions des femmes et des hommes qui s’y investissent.
Le deuxième intérêt est pour les organisations partenaires elles-mêmes. Cette base documentaire est un levier d’affirmation de leur rôle d’acteur de la société civile. Grâce à cela, leurs compétences peuvent être reconnues par les différents interlocuteurs locaux. C’est aussi un moyen de promouvoir leur utilité sociale et d’obtenir les soutiens nécessaires à leur engagement dans la durée.
Troisième utilité à cette capitalisation des méthodes : le partage. En 2017, nous avons pris l’initiative de réunir nos partenaires dans un collectif nommé « Former pour Transformer » (01). Dans cet espace s’échangent les méthodes
issues des pratiques menées avec les populations vulnérables. Puisant dans ces richesses, nous réalisons des analyses transversales permettant à chaque organisation de s’approprier et d’adapter les savoirs des autres. Un moyen très efficace d’améliorer l’action de chacun. Dans cette capacité nouvelle de partage les organisations partenaires, pendant longtemps bénéficiaires de la solidarité internationale de Frères des Hommes, sont devenues elles aussi des actrices de solidarités internationales entre elles.
Frères des Hommes se retrouve ainsi au coeur d’un collectif d’organisations solidaires. Et les « Pépins », porteurs de projet accompagnés par notre Pépinière (02) et accueillis par nos partenaires à l’étranger, sont tout à la fois expérimentateurs et bénéficiaires de cette solidarité internationale. Le pari est pris que, grâce à eux, ce capital de solidarité pourra être réinvesti en France, dans nos territoires, pour ici aussi construire une société fondée sur plus de justice sociale, environnementale et climatique.
Yves Altazin,
Directeur de Frères des Hommes
Rwanda
« Avec les autres, tu te sens dans une société»
Au siège de l’organisation ADENYA, à proximité de la frontière avec le Burundi, Léonie, une des formatrices du projet Récasé, se montre convaincue de la force du collectif : « Pourquoi les paysans se regroupent ? Pour un paysan seul c’est très difficile de changer sa situation. En rejoignant un collectif on supprime l’isolement, ils échangent dans le groupe, ils peuvent mener des actions collectives comme les potagers collectifs, les ateliers culinaires qui vont sensibiliser à une nutrition saine, ou les formations aux techniques d’agroécologie et d’élevage. » Comme partout au Rwanda, l’organisation en collectif est présente à tous les niveaux de la société. Le pays poursuit de cette façon sa reconstruction, plus de 25 ans après la fin du génocide.
Avec nos partenaires ADENYA et DUHAMIC-ADRI, l’objectif du projet est double : permettre aux familles paysannes, grâce à des formations techniques et citoyennes, de lutter contre la malnutrition et renforcer l’organisation des collectifs de paysans qui cimentent la campagne rwandaise. « Chaque personne apporte un arbre ou un outil pour aider les autres membres. Il y a des relations sociales qui se construisent » indique Léonie. Elle ajoute : « Il y a aussi les pépinières que les paysans cultivent ensemble. Les paysans amènent leur force avec eux, ils entretiennent, ils repiquent. Chaque semaine, les collectifs se rencontrent et travaillent la terre en commun. »
Un collectif porte-parole des paysans
Chaque collectif s’est doté d’un conseil d’administration, d’un comité de surveillance et d’un comité de suivi des activités décidées chaque mois (travaux en commun, organisation d’une tontine (03), achat d’un terrain, soutien à un membre). Chaque paysanne, paysan, membre du collectif, est formé à connaître le rôle de ces différents niveaux. « Les paysans se forment sur la gouvernance, la responsabilité de chacun, de chacune : que fait le conseil d’administration ?, que fait le président ? On parle aussi de la nécessité de changer de présidence, d’alterner » dit Léonie. Cette organisation très poussée des collectifs est là pour renforcer leur autonomie et leur légitimité. « Nous pensons, dit Fidèle, un des coordinateurs du projet, que la démocratie participative commence dans ces collectifs. C’est pour cela que les paysans sont formés, pour qu’ils soient des acteurs de développement local et des porte-parole des paysans. »
Dans un pays qui favorise une agriculture industrielle et des monocultures de blé et de maïs, où l’administration est considérée comme intouchable, un paysan rwandais (dont la majorité n’a que des petites parcelles de terre à cultiver) a du mal à se faire entendre. C’est au niveau des politiques locales de développement rural que beaucoup se joue : « Ces collectifs de paysans, ajoute Fidèle, peuvent avoir un rôle important dans la conception, la mise en oeuvre et l’évaluation de ces politiques. C’est pour cela que nous avons les «parlements virtuels», qui sont des espaces de concertation entre acteurs locaux, autorités locales et collectifs de paysannes et paysans. » Mais au-delà de cette interaction avec l’État, c’est la question du déclassement social des paysans qui est en jeu. C’est ce dont témoigne Juvénal, lui aussi coordinateur du projet : « Se mettre ensemble est important. Avec les autres tu te sens dans une société, tu peux oser parler. »
République
démocratique du Congo
Les unités de la justice sociale
Nous sommes un samedi de juin 2019 à Bukavu, à l’est de la République démocratique du Congo. Parmi les femmes diplômées du centre de l’APEF commence à se dessiner l’ « après » formation. Que faire une fois formées ? Continuer seule ou s’installer en groupe ? Pour notre partenaire, la réponse se trouve dans le collectif car il offre aux femmes un espace dans lequel elles deviennent visibles aux yeux de leur communauté. Cet espace se construit progressivement grâce à des formations, à la fois techniques (elles apprennent un métier) et sociales (à travers les formations « émancipatrices » sur le droit des femmes par exemple).
À l’issue de leur formation les femmes sont notamment sensibilisées à l’utilité de se regrouper en « Unités de production collective ». En se regroupant, elles créent ainsi une sorte de « micro-famille » qui consolidera encore plus le lien social qui est apparu durant la formation. Ensuite, cela leur permet de travailler sur l’aspect économique, basé sur une complémentarité où chacune va s’appuyer sur les compétences des autres : une va par exemple gérer les comptes, tandis qu’une autre va gérer les approvisionnements et qu’une troisième va s’occuper de la commercialisation.
Au final, les femmes se sentent reconnues au-delà même de l’atelier mais aussi dans la sphère familiale et la vie du quartier. Le groupe prend conscience de son pouvoir d’action, se donne les capacités et les moyens de changer la situation économique et sociale de ses membres. Symbole de l’ouverture du collectif vers l’extérieur : l’animation par les femmes de l’APEF d’un « barza communautaire» (04). centré sur les violences liées au genre, une thématique qu’elles ont choisie.
« Nous ne voulions pas vivre en monarchie »
C’est l’équité, la solidarité qui caractérise les rapports au sein du groupe, comme en témoigne Dorcas, membre d’une « Unité de production collective » : « En constituant les groupes, nous ne voulions pas vivre en monarchie alors nous nous sommes constituées une communauté à partir d’un vote pour désigner la présidente, la caissière, la chargée du marketing, la secrétaire et la chargée de l’approvisionnement. Et donc chacune a son rôle à jouer dans le groupe. » Ainsi, l’année dernière, lors de la cérémonie de remise des diplômes aux participantes à la formation, il n’a pas été possible d’inviter l’ensemble des femmes membres de ces Unités. Fallait-il alors qu’une autorité les représente toutes ? Au final et sur décision collective, la présidente a représenté le groupe.
Sénégal
« Le groupement est un peu la locomotive du village »
La notion de collectif est dans le nom même de l’organisation : l’Union des Groupements Paysans de Méckhé (UGPM). Dans la région du Kayor au centre du Sénégal, le mouvement paysan s’attache à accompagner plutôt qu’à aider, c’est ce qu’ils appellent l’ « autopromotion paysanne » : se former, se renforcer, développer son territoire. En 2019, l’UGPM, accompagnée par Frères des Hommes, a voulu redynamiser ces collectifs dans une zone où « les jeunes vont vers la ville pour chercher plus de revenus » : ces mots sont ceux de Ndiakhate, le secrétaire général de l’UGPM qui a répondu à nos questions.
Est-ce que vous pouvez rappeler pourquoi l’UGPM passe par le collectif pour atteindre son objectif de transformation sociale ?
Le groupement est effectivement très important. Il harmonise, il coordonne les points de vue, les visions. Certaines décisions qui sont prises en collectifs ne pourraient jamais être prises de manière individuelle. C’est la base. On essaye de faire participer chaque membre, qui vient avec ce qu’il a. Et cela varie beaucoup selon les paysans. Mais tout le monde participe. Nos collectifs, au nombre de 76 actuellement, couvrent 89 villages.
Quelles sont les alternatives solidaires menées par ces collectifs pour développer le village ?
D’abord le collectif essaye de développer le village en identifiant les problèmes et les solutions que nous, en tant que communautés villageoises, pouvons développer pour améliorer la cohésion sociale, rapprocher les populations, les femmes, les personnes âgées, les jeunes mais aussi développer les activités économiques selon le contexte et les ressources. Il y a des initiatives prises par des paysans, que le groupement va ensuite accompagner. Certaines visent à améliorer le cadre de vie à l’échelle du village, que ce soit au niveau de la santé ou de l’hygiène. C’est la mission des animateurs de l’UGPM d’accompagner ces initiatives. On essaye de développer des systèmes de solidarité au sein du village comme par exemple la « calebasse de solidarité » (05), des greniers de « prévoyance » pour surmonter la période de « soudure » (06). Il y a aussi les champs collectifs qui vont bénéficier aux familles les plus vulnérables. On essaye d’accompagner des familles à développer d’autres types d’activités.
En quoi ces alternatives contribuent-elles à votre volonté de justice sociale et environnementale ?
D’abord cela permet à chaque membre de comprendre qu’il a une place importante au sein du collectif. Il a un rôle à jouer. Ce n’est pas un collectif où on ne met en avant que l’aspect économique. On peut aussi apporter sa connaissance, son expérience, au niveau du village. Tout un chacun est susceptible de se sentir responsable, de participer, de manière égale, à la vie du collectif. C’est cet équilibre au niveau du village qu’on recherche. Toutes les activités menées par les paysans vont dans ce sens. Par exemple, quand une famille arrive à un certain niveau de ressources grâce au groupement, cela ne veut pas dire qu’elle va se mettre à l’écart de ce dernier. Ce qu’elle a « gagné », elle le met à la disposition du collectif. Au niveau environnemental, nous avons aussi cette préoccupation dans les groupements. C’est un enjeu très important car plus l’environnement se dégrade, moins les paysans pourront rester sur la zone.
Comment la solidarité est-elle mise en avant entre les membres des collectifs et vis-à-vis des autres paysans ?
Dans un village, tout le monde n’est pas membre du groupement. Mais on essaye de travailler avec tout le monde. Par exemple, les groupements font ce qu’on appelle de l’achat groupé de matériel, de semences. Ce qu’ils achètent est ensuite mis à disposition de l’ensemble du village. De même au niveau de la gestion de l’environnement, le groupement ne mène pas ses activités dans son coin, cela ne serait pas souhaitable car tout le village est concerné. Le groupement est un peu la locomotive du village.
Vous avez commencé à vous pencher sur « les rapports de domination » au sein des groupements, d’où vous est venue cette idée ?
On a commencé à y réfléchir au début de ce nouveau projet avec Frères des Hommes. Au cours des formations que l’on donne au niveau des groupements, on a d’abord remarqué une forme de domination de certains paysans sur d’autres. Par exemple, des chefs de groupements n’étaient pas choisis pour leurs compétences mais parce qu’ils étaient « fils ou neveu de ». On s’est aperçu que cela freinait l’activité du groupement. On a alors essayé d’élaborer une formation sur cette question pour accompagner les groupements à identifier ces relations de domination. C’est venu de notre expérience et de l’accompagnement de Frères des Hommes. Cela fait un an qu’on travaille dessus. On a choisi dix groupements pour travailler sur cette question. Cela nous a permis de prendre conscience de ce type de phénomène. S’il existe, c’est que nous sommes dans une situation d’injustice sociale. Les paysans doivent prendre conscience que cette injustice freine la transformation sociale, et pour cela nous avons besoin de tout le monde, de ceux qui ont des ressources, de ceux qui ont des connaissances. Ça n’est pas facile, il y a eu quelques freins. Certains, plus traditionnels, se sentent un peu menacés par le changement.
Ndiakhate Fall, secrétaire général de l’UGPM
Pérou
Personne n’est mis de côté
Issues des campagnes péruviennes, avec l’envie d’une vie meilleure, les femmes du district de San Juan de Lurigancho se sont installées dans cette banlieue populaire de Lima avec leurs maris, leurs enfants et leurs parents. Ce district est un de ceux les plus touchés par la violence physique et sexuelle dans le pays. L’organisation CENCA y est présente depuis des années. Pour lutter contre ces violences et aider ces femmes à s’émanciper, nous conduisons ensemble le projet « Habla Mujer » ( « Paroles de femmes »). Libérer cette parole y est essentiel. Chaque mercredi, elles sont une vingtaine à se rassembler dans le local de CENCA. À chaque réunion, un thème différent est abordé, choisi par elles, sur la famille ou la société. En participant à ces réunions, ces femmes sortent de la sphère familiale, de celle du « micro-voisinage ». Le but est de les amener à s’impliquer collectivement dans le développement de leur quartier, que ce soit au niveau social ou économique, et au-delà dans le développement de la société péruvienne, sans dépendre de leurs maris ou sans subir la domination des hommes.
Ce sont des lieux où l’horizontalité est reine. Toutes les femmes y sont égales entre elles. Les animatrices ou animateurs de CENCA, qui souvent vivent dans le quartier, sont très vigilants à ce que tout le monde s’exprime, participe. Personne n’est mis de côté. « Il y avait des femmes très timides qui se sont libérées, dit Liz, une des participantes. Elles ont commencé à raconter comment elles se sentent, chez elles et dans le quartier. J’ai appris qu’il y a des femmes qui luttent au quotidien dans ce quartier. Pour moi aussi cela a été important car je viens d’une famille où on considère que lorsque tu es une femme, tu restes à la maison et l’homme va travailler. J’ai appris le dialogue, à la maison je ne dialogue jamais. Mais ça ne devrait pas être comme ça, nous devrions, hommes et femmes, être ensemble pour aller de l’avant. »
Sans dépendre de leurs maris
À la suite des formations techniques qu’elles suivent pendant 6 mois, certaines femmes se regroupent dans un système de « junta », de tontine (07), pour acheter de l’équipement. D’autres vont participer à une sensibilisation sur les droits des femmes dans leur quartier ou se mobiliser autour d’un jardin partagé. D’autres encore vont aller prolonger cet engagement dans ce qu’on appelle « l’équipe communautaire ». Composée majoritairement de femmes formées par CENCA, elle est l’émanation du quartier de Mariategui : « C’est un espace populaire composé de personnes reconnues pour leurs actions et de dirigeants communautaires qui cherchent à participer au développement de leur quartier, qui aspirent à être des acteurs sociaux de leur zone » dit Carlos, architecte dans l’équipe de CENCA.
La mise en place de cette équipe a son importance. En prenant des initiatives pour transformer leur communauté (travail de cartographie, sensibilisation aux risques de tremblement de terre) elle repousse les frontières de l’espace domestique pour intervenir en public et de manière pérenne. Les défis sont nombreux, car il existe toujours le risque que l’intérêt personnel prenne le dessus, mais comme dit Davis, le directeur adjoint de CENCA, « il s’agit de travailler pour un intérêt qui dépasse celui des individus ».
Inde
Construire des espaces de justice sociale
Dans un des quartiers populaires de Bijapur, dans le sud de l’Inde, le collectif de femmes retraitées « Aikyatha » a présenté son mémorandum de demandes aux candidats aux élections législatives d’avril 2019. Accès à la santé, transports, retraites décentes, infrastructures : ces demandes ont été travaillées dans le collectif, avec un accompagnement ponctuel de Prabhugouda, le coordinateur de FEDINA (notre partenaire) dans la ville : « On a eu différentes réunions avec elles, dit-il, on leur a demandé quels étaient leurs besoins et comment elles devraient faire pour que ces besoins soient satisfaits. On a eu des discussions sur le rôle du gouvernement, sur son action. Nous avons pu leur faire prendre conscience que leur travail avait contribué à l’économie du pays. De cette manière, elles ont pu décider d’une stratégie. »
Comme au Pérou, le projet mené avec FEDINA a permis de construire des espaces de justice sociale localisés, dans lesquels beaucoup se fait de manière collective : la décision d’agir, l’organisation interne, l’intégration des nouveaux membres, la contribution financière. Pour beaucoup des femmes qui font partie des groupes, être ensemble est devenu un mode de vie car leur motivation est commune : les actions profitent à toute la communauté et non pas à une seule personne : « On ne change pas une seule existence mais celle de tous », dit Firdose, animatrice chez FEDINA.
Déconstruire les schémas de pensée dominants
Ces espaces de justice sociale vont servir à déconstruire les schémas de pensée dominants. Point de passage obligatoire dans ce pays traversé par des tensions identitaires fortes et une violence sociale et économique à l’égard des femmes. FEDINA encourage ainsi la création de duos qui vont animer les réunions mensuelles des groupes, mobiliser les personnes : des binômes mixtes soit au niveau du genre (avec un homme et une femme), soit au niveau de l’âge (un jeune et une personne plus âgée), ou encore au niveau des confessions (un hindouiste et un musulman). « Ce qu’on veut, dit Sridevi, la coordinatrice du projet mené avec Frères des Hommes, c’est transformer d’abord la communauté, puis la société de manière générale au niveau des castes et de l’inégalité entre hommes et femmes. »
Grâce aux formations en gouvernance données par FEDINA, le collectif s’organise lui-même avec le souci que ses dirigeants ne fassent pas passer leurs intérêts en priorité. C’est ce que dit Pushpallata, la coordinatrice d’un collectif d’employées de maison : « J’organise le collectif pour que les femmes soient conscientes de leurs droits et qu’elles puissent faire face à leur contexte, notamment la violence. Tout le monde vient aux réunions, hommes, femmes, enfants et tout le monde peut prendre ma place, je ne suis supérieure à personne. Si une seule personne s’élève, elle ne sera pas entendue, alors notre force c’est d’être unis. »
La Pépinière de la
solidarité internationale
Expérimenter
le changement social
La Pépinière de la solidarité internationale de Frères des Hommes a fêté son cinquième anniversaire. Devenue un espace où s’expérimente l’alliance pour le changement social, elle se base sur des bénévoles, « Pépins », « tuteurs », en équipes locales et accompagnés par une équipe salariée. Un dispositif qui privilégie la volonté d’apprendre par et avec les autres. Estelle Bergerard en est la coordinatrice, elle a répondu à nos questions.
Comment les bénévoles de la Pépinière, « Pépins » et « tuteurs » s’engagent-ils à ne pas reproduire de rapports de domination avec les populations qu’ils vont côtoyer ?
La Pépinière essaye de favoriser une prise de conscience de ces bénévoles sur des postures d’humilité et de volonté d’apprendre des autres. Les personnes que nous accueillons n’ont pas en effet nécessairement toutes une expérience dans l’accompagnement ou l’élaboration de projets, elles vont donc apprendre des autres, Pépins ou tuteurs. Ensuite, la Pépinière est composée de personnes socialement et économiquement plutôt favorisées.
L’idée est qu’au cours des formations et des temps collectifs que nous organisons, elles prennent progressivement conscience de leur situation « privilégiée » dans la société et de ce qu’elles veulent en faire. Les personnes engagées dans la Pépinière font le choix de l’alliance avec celles et ceux qui sont issus de situations de vulnérabilités. S’allier, c’est mettre son pouvoir d’agir au service de la lutte contre les inégalités et donc d’une volonté de ne pas reproduire de rapports de domination.
Pourquoi est-ce important pour la Pépinière que les bénévoles puissent prendre en compte ce type de rapports ?
La Pépinière est un espace d’expérimentation du changement social. Or ce changement passe par l’équité, l’horizontalité, le respect. C’est sur cette base que le Pépin accompagné par son tuteur va concevoir une action solidaire avec des populations en situations de vulnérabilités à l’étranger.
Le Pépin, une fois sur place, ne va pas commencer tout de suite son action sans créer du lien. Il y a une phase d’immersion, pendant laquelle il se présente et précise son action aux populations avec l’appui de l’organisation partenaire locale. Grâce à sa participation concrète, il va apprendre des populations qu’il rencontre, il va évoluer dans sa prise de conscience des causes et conséquences des inégalités. Il va ainsi être au coeur de la vision de Frères des Hommes de « plus de justice sociale, environnementale et climatique ».
Cette prise de conscience des inégalités et moyens de ne pas les reproduire est aussi importante pour les engagements futurs du Pépin. Certains ont par exemple changé d’orientation dans leurs études, suite à leur action, en prenant une option plus « solidarité locale ou internationale ». Globalement, le Pépin vit d’abord une expérience, c’est un processus pendant lequel rien n’est imposé. Chaque Pépin est différent et vient avec son histoire propre. La Pépinière offre des espaces pour aborder le changement social, les rapports de domination en se donnant des moyens pour le faire.
Quels sont ces espaces où l’on appréhende le changement social ?
Cela se passe dès l’accueil des futurs bénévoles par les équipes locales elles-mêmes. Leurs membres font partie de la Pépinière depuis plusieurs années et ont été formés et accompagnés.
Quand de nouvelles personnes sont accueillies par une équipe, elles vont d’abord être amenées à se questionner sur leurs valeurs, leur motivation, leur posture. Ce qu’on peut appeler le « savoir-être ». Les formations sont aussi un lieu important pour permettre le partage des valeurs de la Pépinière. Pour les tuteurs et tutrices bénévoles, nous avons développé une formation sur « découvrir Frères des Hommes », qui revient sur notre engagement, nos valeurs, notre vision pour la transformation sociale et nos partenaires de solidarité internationale.
La formation sur « accompagner le Pépin à co-construire son action avec un partenaire » est aussi proposée. On y prend conscience que la co-construction, c’est aussi être dans une forme d’équité et d’horizontalité dans la relation avec l’organisation partenaire à l’étranger et avec les populations. La formation « communication et collecte de fonds » pour les Pépins a aussi beaucoup évolué. On y parle d’alliance, de posture, d’humilité. Existent aussi les espaces collectifs comme les week-ends de rentrée interéquipes et les journées AVEC (08) au moins deux fois par an. Se rajoute à cela toute la vie « quotidienne » des équipes locales qui se réunissent quasiment chaque mois.
Ce sont ainsi autant d’espaces de transmission permettant les échanges entre anciens et nouveaux et l’émergence d’une ambition commune de contribuer au changement social.
Comment est mise en avant la solidarité entre les membres des équipes de la Pépinière et les salariées du dispositif ?
Il n’y a pas que le Pépin qui soit concerné par le questionnement sur la non-reproduction de rapports de domination dans son action.
A tous les niveaux de la Pépinière, nous travaillons ensemble sur des façons de s’organiser, pour que les décisions au sein des équipes puissent par exemple être prises de manière égalitaire ou que les accompagnements des Pépins puissent être enrichis par l’expérience des autres tuteurs et tutrices.
Chaque équipe a aussi des besoins spécifiques. Par exemple celle de Bordeaux voulait travailler à une organisation collective plus horizontale, sans forcément une coordinatrice. À Paris, où l’équipe est la plus nombreuse, l’enjeu était de mieux s’organiser en collectif. Ils ont mis en place des groupes thématiques, un pour l’accueil, un pour l’accompagnement et un pour le côté bilan de l’action du Pépin. Spontanément, ces deux équipes ont choisi des modalités d’organisation plus horizontales.
L’équipe d’animation de la Pépinière a répondu à cette demande et propose des modes d’organisation en conséquence, issus de l’expérience de nos partenaires et souvent inspirée par l’éducation populaire (09).
Julie (debout), du projet « Les Indépendantes », au Pérou
Le programme 2020
Rwanda sud
Prendre en compte les besoins des paysans
120 leaders paysans vont intégrer les espaces de concertation avec les autorités et les acteurs locaux. L’objectif : prendre en compte leurs besoins et les inclure dans les politiques locales.
République Démocratique du Congo
Rassembler les femmes du Sud-Kivu
50 femmes, précédemment formées en coupe couture ou teinture, sont accompagnées pour intégrer des ateliers collectifs et démarrer leurs activités ensemble.
Sénégal
Redynamiser l’agriculture dans le Kayor
Dans 18 villages, les paysans vont développer des activités collectives (culture de champs, élevage, artisanat) et recevoir des micro-crédits pour démarrer leurs activités.
Pérou
Permettre aux femmes de libérer leur parole et générer des revenus à Lima
Plusieurs dizaines de femmes vont participer au cercle de parole hebdomadaire et s’impliquer collectivement dans la vie de leur quartier. Elles vont aussi suivre des formations et apprendre un métier en bâtiment, chocolaterie, cordonnerie, pour ensuite lancer leur activité et générer des premiers revenus.
Inde
Mobiliser les femmes dans l’état du Karnataka
200 femmes vont participer à des formations aux lois du travail et à la protection des victimes de violences, qui leur donneront les moyens d’obtenir l’application de leurs droits.
France
Développer l’engagement citoyen
25 « Pépins » (porteurs de projet), accompagnés par 4 équipes de tuteurs bénévoles, vont rejoindre la Pépinière de la solidarité internationale et développer des actions de solidarité avec les populations vulnérables.
Haïti Centre
Préserver la nature aux côtés des familles
24 mobilisations collectives vont être organisées par les familles paysannes pour répondre à l’enjeu vital de limiter le déboisement et l’érosion des sols et ainsi assurer l’avenir de leur communauté villageoise.
2, rue de Savoie – 75006 Paris
01 55 42 62 62 – fdh@fdh.org
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